Des champs magnétiques au cœur des Piliers de la Création

Une équipe internationale, connue sous le nom de « consortium BISTRO » (B-Fields in Star-Forming Region Observations) dont fait partie Pierre Bastien, professeur à l’Université de Montréal et membre du Centre de recherche en astrophysique du Québec (CRAQ), a cartographié pour la première fois le champ magnétique au sein du gaz dense des « Piliers de la Création ». Les observations ont été obtenues grâce à un imageur de polarisation à haute résolution, installé sur le radiotélescope submillimétrique James Clerk Maxwell (JCMT), qui permet de mesurer l’axe de vibration des ondes électromagnétiques.

Les Piliers de la Création, d’un âge estimé à un peu plus d’un million d’années, situés au cœur de la région de formation d’étoiles de Messier 16, également connue sous le nom de nébuleuse de l’aigle, représente l’une des images les plus emblématiques obtenue par le télescope spatial Hubble (HST). Les piliers sont un ensemble de colonnes de gaz froid et dense faisant saillie dans une région de plasma ionisé chaud. Les piliers renferment des pépinières de nouvelles étoiles qui se forment près des extrémités, et sont un exemple particulièrement spectaculaire d’une caractéristique que l’on retrouve dans de nombreuses régions de l’espace interstellaire où se forment les étoiles de grande masse.

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Les Piliers de la Création (Crédit : HST)

Il s’agit des premières observations à haute résolution des piliers obtenues en lumière polarisée à des longueurs d’onde submillimétriques – la lumière submillimétrique étant à la limite des ondes infrarouges et radios du spectre électromagnétique, où la poussière dense et froide et le gaz qui formeront la prochaine génération d’étoiles émettent le plus de rayonnement. La lumière émise par ces régions poussiéreuses est polarisée perpendiculairement à la direction de son champ magnétique local, et permet de sonder directement la morphologie du champ magnétique à l’intérieur du gaz dense des Piliers de la Création. Les observations ont été obtenues à une longueur d’onde de 0,85 mm dans le cadre du sondage BISTRO, en utilisant le polarimètre POL-2, dont Pierre Bastien est le chercheur principal, et la caméra submillimétrique SCUBA-2 du JCMT. Elles montrent que le champ magnétique s’étend sur la longueur des piliers, à un angle significativement différent de celui du champ dans le plasma ionisé environnant, et a une intensité estimée à environ 170 à 320 microGauss (1,7 à 3,2 × 10-8 Tesla), une force de champ magnétique intermédiaire pour une région où se forme des étoiles. En comparaison, le champ magnétique terrestre est d’environ un demi-Gauss.

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Une illustration de l’orientation des vecteurs du champ magnétique observés dans les piliers de la création, superposés à une image de la nébuleuse (Crédits : consortium BISTRO et Hester et al.,1996, AJ 111, 2349).

Les jeunes étoiles chaudes, dont la masse est plus de huit fois celle du Soleil, émettent un grand nombre de photons de haute énergie. Ces photons énergétiques ionisent une partie de la région dans laquelle ils se forment, en arrachant l’électron du proton dans les atomes d’hydrogène. À mesure que le front de l’onde de choc, créée par la rencontre de la matière ionisée par les jeunes étoiles avec la matière neutre, progresse, des structures complexes se forment dans le gaz dense situé à l’interface. En particulier, des piliers de gaz plus dense et neutre comme ceux de M16 forment une saillie dans la région ionisée, apparemment laissés intact par l’avancée de l’onde de choc. La formation et l’évolution de ces piliers ne sont pas bien comprises – le débat se poursuit sur la question de savoir si ces piliers se forment derrière des obstacles de l’onde de choc ou s’ils peuvent se former à partir d’instabilités turbulentes dans l’onde de choc elle-même. Le rôle du champ magnétique dans la formation des piliers est particulièrement incertain, surtout que les mesures du champ magnétique dans les parties denses des piliers n’avaient jamais été obtenues jusqu’à présent.

Les observations du champ magnétique, tout le long des piliers, sont cohérentes avec l’hypothèse que ceux-ci résultent de la compression du gaz par un faible champ magnétique initial : ce champ magnétique de faible intensité est entrainé par les mouvements du gaz jusqu’à atteindre la configuration qui est observée actuellement. Cependant, l’intensité du champ magnétique semble avoir été augmentée par compression lors de la formation des piliers. L’intensité mesurée du champ magnétique est suffisante pour contrer l’effondrement radial des piliers sous la pression du plasma chaud environnant, et empêche les piliers de s’effondrer sous l’effet de leur propre gravité. Cependant, il est important de noter que l’onde de choc qui crée les piliers est aussi à l’origine de leur destruction : en effet, l’intensité mesurée du champ magnétique n’est pas suffisante pour empêcher l’érosion progressive des extrémités des piliers par le rayonnement des jeunes étoiles de la région. Les résultats suggèrent que l’évolution et la durée de vie des piliers peuvent ainsi être fortement influencées par la force et l’orientation de leur champ magnétique : la longévité des piliers résulte donc de l’intensité du champ magnétique.

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Scénario évolutif proposé : (a) un front d’ionisation se déplaçant perpendiculairement au champ magnétique ambiant s’approche d’une surdensité existante dans le gaz moléculaire. (b) Le front d’ionisation est ralenti par la surdensité. Le champ magnétique, gelé par la matière, « s’incline » dans le pilier en formation. (c) Le champ magnétique comprimé soutient le pilier contre un affaissement radial entraîné par la pression du gaz et la gravité, mais ne peut pas supporter l’érosion longitudinale de la surdensité par les photons ionisants. La zone en bleu foncé représente le gaz moléculaire et celle en bleu clair représente le matériel ionisé. Le front d’ionisation est représenté par une ligne noire. Les lignes pointillées grises indiquent la direction du champ magnétique local. Les flèches rouges représentent le flux de photons, les flèches noires représentent la pression magnétique et les flèches vertes représentent la pression du gaz thermique (Crédit : consortium BISTRO).

À propos du JCMT, de POL-2 et de BISTRO

Le télescope James Clerk Maxwell, situé sur le Mauna Kea à Hawaii, est un radiotélescope optimisé pour les observations dans le domaine submillimétrique du spectre électromagnétique. Il est exploité par le East Asian Observatory. Le polarimètre POL-2 possède un modulateur qui modifie la polarisation en tournant à une vitesse de 2 Hz. Cette modulation permet de compenser les variations de l’atmosphère pendant les mesures. Avec un faisceau couvrant 15 secondes d’arc sur le ciel, cela en fait un instrument idéal pour étudier les champs magnétiques dans les filaments de gaz moléculaire des régions de formation d’étoiles du voisinage solaire. Le consortium BISTRO est un regroupement de 139 chercheurs et chercheuses qui tente de comprendre le rôle des champs magnétiques dans la formation des étoiles. Ses membres proviennent des régions partenaires de l’East Asian Observatory soit la Chine, le Japon, la Corée du Sud, Taiwan et le Vietnam ainsi que des universités participantes au Royaume-Uni et au Canada.

Les résultats de cette recherche, menée par le consortium BISTRO, paraitront dans la revue The Astrophysical Journal Letters (http://arxiv.org/abs/1805.11554).

Source et renseignements :

Professeur Pierre Bastien
Centre de recherche en astrophysique du Québec
Université de Montréal
bastien@astro.umontreal.ca

Robert Lamontagne
Responsable des relations avec les médias
Centre de recherche en astrophysique du Québec
Téléphone : (438) 495-3482
lamont@astro.umontreal.ca