Au cœur du Crabe : une reconstruction en 3D du célèbre reste de supernova révèle une structure filamentaire complexe en forme de cœur.

Grâce au puissant spectromètre imageur SITELLE installé au télescope Canada-France-Hawaii (CFHT), des astronomes ont cartographié la célèbre nébuleuse du Crabe avec une finesse sans précédent, leur permettant de produire une toute première représentation tridimensionnelle réaliste des débris de cette explosion de supernova. Cette analyse révèle une structure filamentaire complexe dont la morphologie globale fait penser à un cœur.

image_mnras

La nébuleuse du Crabe (Messier 1) est l’un des objets astronomiques les plus étudiés, tant par les astronomes amateurs que par les chercheurs professionnels. Depuis qu’un lien a clairement été établi entre cette nébuleuse et « l’étoile invitée » découverte par les astronomes chinois le 4 juillet 1054, des milliers d’articles ont été écrits à son sujet, couvrant divers domaines de la physique et de l’astronomie. Toutefois, de nombreuses questions demeurent quant à la nature de l’étoile qui a explosé et aux mécanismes qui ont façonné son explosion.

Le chercheur du Centre de recherche en astrophysique du Québec (CRAQ), Thomas Martin, qui a dirigé cette étude à l’Université Laval, espère répondre à ces questions en utilisant cette nouvelle reconstruction tridimensionnelle. « Les astronomes pourront dorénavant se promener autour, et même à l’intérieur de la nébuleuse du Crabe afin d’étudier les filaments un par un. », décrit Martin, « À la manière d’une escouade d’enquêteurs étudiant la distribution et la composition chimique des débris laissés par l’explosion d’une bombe ». Le professeur à l’Université Purdue (Indiana) et co-auteur de cette publication, Dan Milisavljevic, un expert des supernovæ, conclut que « la morphologie fascinante de filaments gazeux révélée par ces nouvelles données semble contredire l’explication la plus communément admise sur la façon dont l’explosion s’est produite ».

Les données “hyperspectrales” utilisées pour créer cette reconstruction tridimensionnelle ont été obtenues avec SITELLE, un spectromètre imageur permettant d’obtenir le spectre de chaque source de lumière dans un champ de vue de 11 minutes d’arc (soit le tiers du diamètre de la Pleine Lune). L’originalité de SITELLE réside dans l’utilisation d’un interféromètre de Michelson pour extraire le contenu spectral de la lumière des nébuleuses et des galaxies, ce qui lui confère un net avantage en termes de champ de vue par rapport aux spectromètres conventionnels. Plus de 300 000 spectres de la nébuleuse du Crabe ont ainsi été obtenus en une seule observation, révélant la composition chimique et la vitesse de déplacement de chaque parcelle de ce reste de supernova.

SITELLE est le fruit d’une collaboration entre l’Université Laval, ABB Inc. de Québec, l’Université de Montréal et le CFHT, sous la direction scientifique de Laurent Drissen, professeur et membre du CRAQ à l’Université Laval et co-auteur de cette étude. « SITELLE a été conçu en ayant des objets complexes comme le Crabe en tête mais son grand champ de vue et sa polyvalence en font un instrument idéal pour l’étude des galaxies proches et même des lointains amas de galaxies », a affirmé Drissen.

Les explosions de supernova, qui marquent la fin spectaculaire de la vie des étoiles massives, comptent parmi les phénomènes les plus énergétiques et influents de l’Univers. Ainsi, Milisavljevic pense « qu’en tant que citoyens de l’Univers, il est essentiel que nous comprenions les processus ayant permis l’évolution chimique de celui-ci, rendant ultimement possible l’existence de la vie. SITELLE est amené à jouer un rôle important dans cette quête ».

Vidéo :

Réalisée à partir de centaines de milliers de points de mesure représentés par de petits cubes, cette animation présente la nébuleuse du Crabe en trois dimensions telle qu’on la verrait à travers l’objectif d’une caméra se déplaçant autour d’elle et s’introduisant à l’intérieur. La vitesse de déplacement du gaz ionisé, mesurée par SITELLE, a été traduite spatialement en supposant une expansion sans accélération du matériel. La seule intrusion artistique dans cette animation est la sphère bleutée au centre de la nébuleuse, qui représente la lumière émise par le vent du pulsar. La Voie lactée placées en fond d’écran (NASA/Goddard Space Flight Center Scientific Visualization Studio) simule adéquatement le point de vue d’une personne se déplaçant près de la nébuleuse. Quant à la trame sonore, elle provient aussi des données, dont les fréquences électromagnétiques ont été « traduites » en fréquences sonores, puis échantillonnées et mixées.

Article: Accepté par Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, disponible sur https://arxiv.org/abs/2101.02709

Source :

Thomas Martin
Université Laval
thomas.martin.1@ulaval.ca

Dan Milisavljevic
Purdue University
dmilisav@purdue.edu

Laurent Drissen
Université Laval
ldrissen@phy.ulaval.ca